La dernière chose dont une économie européenne très endettée et faible a aujourd’hui besoin est un autre choc au niveau de l’offre qui pourrait la faire basculer dans une récession à double creux et une période prolongée de déflation des prix.
C’est pourtant précisément ce qu’une nouvelle vague de la pandémie de coronavirus menace aujourd’hui de faire à l’Europe. Cela n’augure rien de bon pour l’économie européenne ni pour le reste de la reprise économique mondiale. C’est d’autant plus vrai que la part de l’Europe dans l’économie mondiale est importante et qu’il existe un risque réel que la crise de la dette souveraine de la zone euro connaisse un nouveau cycle.
Même avant la dernière vague de la pandémie, l’économie européenne n’était pas en bonne forme. Certes, l’économie a connu un fort rebond après son effondrement du printemps précédent, mais elle reste encore bien en dessous de son niveau d’avant la pandémie. Par conséquent, elle est désormais tombée en déflation.
Dans le même temps, les déficits budgétaires européens ont explosé en raison des mesures fiscales audacieuses prises pour lutter contre la pandémie ainsi que de l’effondrement des collectes d’impôts dans une économie plus faible. À mesure que les déficits budgétaires se sont creusés, les niveaux de la dette publique dans des pays très endettés comme l’Italie, le Portugal et l’Espagne sont montés en flèche pour atteindre des records d’après-guerre. Cela soulève à nouveau des questions sur la capacité de ces pays à rembourser leurs dettes.
La nouvelle vague de la pandémie menace maintenant de provoquer un double creux dans la récession économique européenne, ce qui exacerberait le problème de déflation de la zone euro. Cela semblerait être particulièrement le cas si l’on considère que la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne ont toutes déjà été contraintes de réduire considérablement l’assouplissement antérieur de leurs restrictions de verrouillage. De la même manière que la levée antérieure du verrouillage a fait rebondir les économies de ces pays, le monde doit maintenant s’attendre à ce que la réimposition des restrictions liées au coronavirus fasse retomber l’économie européenne dans la récession.
Une autre jambe en bas de l’économie européenne et une période prolongée de déflation des prix augmenteront le fardeau du service de la dette de la zone euro et rendront d’autant plus difficile pour l’Italie, le Portugal et l’Espagne de se développer pour sortir de leurs problèmes de dette. Comme l’a montré leur expérience de l’austérité budgétaire en 2010 pendant la crise de la dette souveraine de la zone euro, toute tentative de ces pays d’améliorer leurs finances publiques par des restrictions budgétaires ne ferait qu’aggraver leur récession économique. Coincés dans un carcan de l’euro qui les a privés de leur propre monnaie, ces pays ne seraient pas en mesure d’amortir le choc économique de l’austérité budgétaire en réduisant les taux d’intérêt ou en recourant à la dépréciation de leur monnaie.
Une récession économique à double creux compliquerait aussi fortement la lutte de la Banque centrale européenne (BCE) contre la déflation, sans parler de lui permettre d’atteindre son objectif d’inflation « proche de mais inférieure à 2 % ». Les taux d’intérêt européens étant déjà en territoire négatif, toute tentative de réduction des taux d’intérêt risquerait d’accentuer la pression sur le secteur bancaire européen, déjà fragile. Dans le même temps, tout effort visant à augmenter substantiellement la taille du programme d’achat d’obligations de la BCE risquerait de susciter une forte réaction politique contre de telles activités, en particulier en Allemagne, le principal actionnaire de la BCE.
En principe, la zone euro dispose d’un moyen de sortir de sa situation économique lamentable actuelle. Il s’agirait de passer rapidement à une union fiscale à part entière. Une telle évolution permettrait de mettre en place un vaste plan de relance budgétaire à l’échelle de la région pour l’Europe, du type de celui dans lequel les États-Unis s’engagent périodiquement. Cela permettrait de contourner les contraintes actuelles sur une nouvelle relance budgétaire que les niveaux d’endettement très élevés font peser sur les pays de la périphérie de la zone euro.
La mouche du coche, cependant, c’est qu’un tel mouvement est hautement improbable de sitôt. Ce n’est pas seulement qu’il existe une forte résistance politique allemande à toute notion d’union fiscale européenne. C’est aussi qu’il existe une opposition similaire à une telle idée dans les quatre pays dits frugaux que sont l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède.
Au moment où les experts sanitaires américains mettent en garde contre un sombre hiver américain à coronavirus, il faut espérer que les responsables de la politique économique américaine prennent note de l’accumulation des nuages de tempête économique européens et des implications que cela pourrait avoir sur les perspectives économiques mondiales. Peut-être se rendront-ils alors compte de l’urgence de trouver un compromis rapide sur un second plan de relance américain de grande ampleur afin que les États-Unis ne succombent pas, eux aussi, à une récession économique à double creux.
Desmond Lachman est chercheur résident à l’American Enterprise Institute. Il était auparavant directeur adjoint au département de l’élaboration et de l’examen des politiques du Fonds monétaire international et stratège économique en chef des marchés émergents chez Salomon Smith Barney.
Image : Reuters
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