Pendant des siècles, la croix gammée a été un symbole de spiritualisme et de divinité dans les cultures indiennes. Avant d’être adopté et inversé en Hakenkreuz par le parti national-socialiste allemand en 1920, le symbole sanskrit était un porte-bonheur dans le monde entier. Après que le symbole soit devenu l’emoji préféré d’Hitler, la sauwastika est tombée en disgrâce et a été effacée de nombreux temples et bâtiments publics. Depuis lors, les groupes haineux modernes ont gâché beaucoup d’autres choses parfaitement agréables en les cooptant comme symboles d’un programme fanatique. La croix celtique, les bottes Grafters, les petites moustaches carrées en sont autant d’exemples. En Amérique, les organisations nationalistes blanches ont été particulièrement habiles en la matière, récupérant le geste de la main « okay », le logo Coors (sérieusement) et, plus récemment, les polos noirs Fred Perry.
Les bigots récupèrent désormais les symboles à une telle vitesse que l’Anti-Defamation League vient d’ajouter 36 nouvelles entrées à sa base de données en ligne « Hate on Display » des symboles de haine, dont, un homme lunaire de dessin animé portant des lunettes de soleil provenant d’une ancienne publicité McDonald’s. Et aussi, la coupe au bol. Oui, la coupe au bol. Le look préféré des moines médiévaux, des Beatles, de l’enfant dans Mme Doubtfire et de votre meilleur ami de collège légèrement potelé.
Aussi, Dylann Roof.
Roof, qui arborait cette coupe de cheveux, était le suprémaciste blanc responsable du meurtre de neuf personnes à l’église épiscopale méthodiste africaine Emanuel de Charleston, en Caroline du Sud. Peu après, la coupe de cheveux a commencé à faire surface sur les forums de suprémacistes blancs en ligne. Comme le rapporte Rolling Stone :
« Sur les forums de discussion suprématistes blancs sur des plateformes comme Gab et Discord, la coupe au bol prend quelques formes différentes. Les images des cheveux de Roof sont souvent photoshopées sur d’autres personnes dans divers mèmes suprématistes blancs (un mème populaire présente la coupe au bol de Roof superposée à un bouclier militaire SS) ; certains suprématistes blancs photoshopent également un halo ou un effet lumineux autour de la tête de Roof pour l’accentuer. La coupe en forme de bol est également utilisée comme raccourci verbal au sein des groupes marginaux, les suprémacistes blancs se désignant eux-mêmes comme « le gang du bol » ou insérant « bol » dans d’autres mots, par exemple en remplaçant « brother » par « bowlther ». Il y a même un suprémaciste blanc appelé le BowlCast, nommé d’après la coupe distinctive de Roof.
Si vous y réfléchissez, la coupe au bol est faite pour être un mème. Sa simplicité mêlée au désir de certains groupes d’alt-right de canoniser les actions de Roof en fait une iconographie idéale. C’est un symbole stupide. Mais qu’est-ce qui n’est pas stupide dans les mèmes internet ? C’est leur but. Ils sont stupides et amusants. (Un dessin humoristique de Far Side a un jour décrit les coupes de bol comme la façon dont la nature dit « ne pas toucher »). Mais l’amusement idiot devient de la haine idiote lorsque les symboles tombent entre de mauvaises mains.
Ce qui est effrayant dans tout cela, c’est que ces codes changent si rapidement qu’il est presque impossible de s’y tenir pour ceux qui ne s’y consacrent pas entièrement. Nous le savons pour avoir eu affaire à du jargon très en ligne. De temps en temps, une liste de « teen-isms » fait surface en ligne avec le titre « Que disent VRAIMENT vos enfants en ligne ? ». Ces listes sont en fait conçues pour alarmer les parents et les avertir du fait que « hundo p » est l’abréviation de « cent pour cent » ou que « ship » est l’abréviation de « relationship ». (Ce n’est pas vraiment de l’arithmétique, n’est-ce pas ?) Ensuite, il y a les listes diffusées par les commissariats de police locaux sur les codes texte secrets ou les hashtags que les enfants utilisent pour oublier leurs parents. Ces listes sont remplies d’informations telles que « RU 18 » signifie « Are You 18 ? » ou que « swag » signifie « confiance ». Il y a des phrases qui semblent folles mais qui ne le sont pas, comme IANAL, qui, non, ne veut pas dire ce que vous pensez et est plutôt l’abréviation de « Je ne suis pas avocat ». (Les gens écrivent-ils vraiment cela ? Qui sait.)
Malgré sa place au panthéon des choses mortifiantes que nos parents nous ont fait, la coupe au bol est, pour beaucoup, un symbole de l’enfance – de l’innocence et des photos d’école maladroites et des histoires drôles de parents qui racontent comment, pour joindre les deux bouts, ils ont fait des coupes de cheveux embarrassantes à leurs enfants. Nous regardons avec tendresse des photos ridicules de nous-mêmes avec des coupes de cheveux stupides et nous en rions. Parfois, nous les mettons en ligne pour que d’autres puissent partager et se souvenir de cette maladresse. Mais aujourd’hui, même la coupe au bol a été transformée en un symbole de haine, un symbole qui existe dans la même catégorie que la croix gammée. C’est ce que les groupes haineux font si bien : ils pervertissent des artefacts culturels purs et apparemment insignifiants, aiguisent leurs bords émoussés et les utilisent comme armes. C’est, comme on dit, pourquoi nous ne pouvons pas avoir de belles choses.
Est-ce que cela signifie que vous devez faire un sprint jusqu’à Walmart, attraper de la pommade, et styliser la coupe au bol de votre enfant en quelque chose de plus acceptable ? Bien sûr que non. Ce n’est pas comme si un étranger allait arriver dans la rue et accuser votre bambin de fraternité aryenne juste parce que vous possédez un saladier et des Fiskars assez pointus. Cela signifie toutefois que nous devons tous être plus conscients de ce qui pourrait être mal interprété comme de la haine afin de les éviter si nécessaire. Le monde l’exige.
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